Sur la chaîne A+Bénin, deux avis étaient en confrontation sur le sujet : « Le mariage, condition de réussite sociale pour une femme ? ». Sur la tribune de l’expert, j’ai mis l’accent sur l’opposition entre deux courants. Il s’agit du courant conservateur et du courant progressiste. La réussite peut s’évaluer au niveau interne (là, l’homme ou la femme définit ses propres critères de réussite) et au niveau externe (ici, c’est la communauté qui au regard de ses critères va approuver ou non la réussite sociale). Dans ce débat, il me paraissait utile d’insister sur le rapport que les communautés ont avec le mariage, les fonctions du mariage, le statut et les pouvoirs des hommes et femmes dans les liens du mariage, etc.
𝐄𝐧𝐭𝐞𝐧𝐝𝐨𝐧𝐬 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐬𝐮𝐫 𝐥’𝐞𝐬𝐬𝐞𝐧𝐭𝐢𝐞𝐥..
Les valeurs que nous partageons en société ne sont et ne seront probablement jamais à équidistance. Ces valeurs sont non seulement régies par la règle d’une hiérarchie, mais sont aussi structurées par le principe de la subsidiarité. Les valeurs n’échappent non plus à la dynamique sociale qui ractifie des accords de leur disparition totale ou partielle ; ordonne leur décomposition, recomposition et remplacement par d’autres valeurs ; impose un espace d’hybridation desdites valeurs par le biais d’emprunts culturels exogènes, des fantasmes et des goûts singuliers de nouvelles générations attachées à d’autres référents dans de nouvelles époques.
Le mariage, valeur dominante non négociable hier dans les sociétés traditionnelles est en mutation. Il perd des plumes face à de nouvelles données qui bouleversent l’ordre préétabli. Ces nouvelles données obligent aussi à redimensionner les périmètres de pouvoirs entre hommes et femmes préposés à s’unir dans les liens du mariage.
𝐌𝐚𝐢𝐬 𝐜’𝐞𝐬𝐭 𝐪𝐮𝐨𝐢 𝐥𝐞 𝐦𝐚𝐫𝐢𝐚𝐠𝐞 𝐬𝐞𝐥𝐨𝐧 𝐥𝐞𝐬 𝐫𝐞́𝐟𝐞́𝐫𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐬𝐨𝐜𝐢𝐨𝐜𝐮𝐥𝐭𝐮𝐫𝐞𝐥𝐬 𝐪𝐮𝐢 𝐨𝐧𝐭 𝐩𝐫𝐞́𝐞𝐱𝐢𝐬𝐭𝐞́ 𝐚𝐮𝐱 𝐥𝐨𝐢𝐬 𝐦𝐨𝐝𝐞𝐫𝐧𝐞𝐬 𝐬𝐮𝐫 𝐥𝐞 𝐬𝐮𝐣𝐞𝐭 ?
Le mariage est un accord entre deux familles. Le mariage consacre le transfert des droits de parenté de la famille biologique de la femme à un homme qui n’est rien d’autre que le futur époux. Cet accord habilite l’homme dans le rôle de chef de famille/foyer. Il fait de l’homme la figure tutélaire de la femme, la figure maritale de la femme, la figure sociétale de la femme, etc.
Cet accord génère aussi des devoirs pour l’homme désormais astreint à prendre la succession des parents biologiques de sa femme en lui assurant bonheur, protection, sécurité financière, sécurité sociale, sécurité affective, besoins relationnels, épanouissement, estime individuelle, intégration sociale et respect dans le cadre de la vie communautaire par l’attribution du patronyme du mari.
Mais les devoirs ne sont pas suspensifs des droits et vice-versa. Les hommes vont donc s’arc-bouter sur le poids des devoirs pour exercer et étendre un pouvoir d’influence sur la femme perçue comme la bénéficiaire directe et principale du mariage.
La femme est le trait d’union entre les plus anciennes générations de familles et les nouvelles. C’est grâce à elle que la société opère un renouvellement perpétuel de l’institution familiale. En clair, la femme permet à la famille de remplir sa première fonction, c’est-à-dire la fonction biologique, celle de reproduction de l’espèce humaine mais dans les liens du mariage.
Or, la réussite sociale qui repose sur une reconnaissance communautaire ne sera attestée qu’à partir du moment où l’acteur remplit parfaitement la mission dans laquelle il est attendu. Donc si l’homme et/ou la femme décident de ne pas se marier (même s’ils ont des enfants hors foyers), la société va considérer que ce choix est une obstruction au renouvellement de l’institution familiale élevée au rang de valeur fondamentale et critère de réussite sociale.
Aussi, faudrait il avouer que la conjugalité est en crise dans les sociétés modernes. Cette crise bouscule les positions figées en raison d’une perte d’influence de plus en plus prononcée des hommes qui n’arrivent plus toujours à honorer leurs devoirs. Parce-qu’elle (la conjugalité) est en crise, le célibat assumé dans le rang des jeunes défie les points d’ancrage du mariage conçu en tant que valeur et norme, lesquelles sont normalement destinées à s’imposer aux individus.
Face à cette réalité, dans les sociétés modernes, le choix du célibat irrigue les pensées de certaines femmes convaincues que le mariage peut être une prison, une souffrance, un frein à l’expression libre des passions propres, un risque d’échec dans la marche vers l’accomplissement social et la réalisation des rêves professionnels, etc. Elles craignent, à tort ou à raison (les expériences douloureuses ou malheureuses relevant d’un vécu propre et non généralisables) le complexe des hommes déchus de leur pouvoir de domination et qui, constitueraient une entrave à l’envol. Ce raisonnement éclipse de facto la norme du mariage et s’attache à d’autres indicateurs de réussite sociale en communauté.
Sans conclure, le mariage participe à la réussite sociale des femmes en leur offrant une reconnaissance communautaire dans les sociétés traditionnelles. Il reste encore de nos jours une norme dominante malgré les bégaiements du courant conservateur. Cependant, la modernité instaure un espace de doute autour du caractère absolu du mariage en tant que valeur et condition d’épanouissement personnel de la femme. Ceci peut s’expliquer par le mouvement d’émancipation des femmes qui parfois s’offrent les mêmes pouvoirs (emploi décent, autonomie financière, niveau élevé d’instruction, etc.) utilisés hier par les hommes pour affermir leur influence. La valeur du mariage est désormais en compétition avec d’autres modèles de vie.
Le débat est loin de finir !
À vos réflexions !!!
Joël Tchogbé, Sociologue